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H4G - Habitat 4 générations

H4G - Habitat 4 générations

"La transition démographique, à l’œuvre, crée des espaces où s’invente un nouveau rapport au futur. D’autant plus que le phénomène interagit avec d’autres transitions, énergétiques, climatiques, technologiques, qui brouillent les vies professionnelles, publiques et privées. Comment le secteur de l’habitat, déjà en deçà de la demande de trois générations, va-t-il pouvoir affronter les besoins émergeants de la coexistence à quatre générations ?"
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DEMAIN L’HABITAT ?

ENTRE LA SOCIÉTÉ À TROIS ET À QUATRE GÉNÉRATIONS

Extrait d’un article de Cyrus Mechkat, architecte, paru dans la revue REISO, en décembre 2018.

Les données de la transition démographique sont connues.

Les bascules individuelles, familiales et sociales un peu moins.

Et l’habitat pour répondre aux besoins de quatre générations encore moins. 

 

La transition démographique, à l’œuvre, crée des espaces au-delà de l’ancien ordinaire du progrès utile, des espaces où s’invente le nouveau rapport au futur. Ce d’autant plus que le phénomène interagit avec d’autres transitions, énergétiques, climatiques, technologiques, qui brouillent les vies professionnelles, publiques et privées, jusqu’au sein dudomicile et de la chambre à coucher, investie par l’IPAD. Plongé dans ce nouvel environnement, avec quels moyens lesecteur de l’habitat, déjà en deçà de la demande de trois générations, va-t-il pouvoir affronter les besoins émergeants de la coexistence à quatre générations ?

Cette nouvelle demande exerce ses effets aux plans individuel, familial et social de chacun et investit son habitat, aux niveaux du domicile, du quartier et de la ville.

Sur le plan individuel d’abord, chacun réalise, parfois avec surprise, qu’au moment où il est libéré des contraintes de la vie réputée active, il dispose encore d’un capital-vie de quinze à plus de trente ans ou plus. Mesure-t-il que ce n’est pas très loin du nombre des années qu’il a passées dans sa vie active ? Ce temps se joue en trois actes. Le premier temps dure de quinze à vingt ans, généralement dotés d’un solide bonus santé. Le deuxième, d’une bonne dizaine d’années, assorti d’une autonomie relative due à des maladies chroniques, mais qui se soignent. Le troisième, plus incertain, peut durer cinq ans ou plus, avec parfois une poly-morbidité complexe, incapacitante, voire dégénérative, faisant appel à un accompagnement progressif à l’autonomie.

Sur le plan familial (ou de toute autre forme d’union), le changement est profond. Chacun va découvrir la famille à quatre générations, dont deux extérieures à la vie active. Il va devoir faire l’apprentissage de la nouvelle cohabitation. Certes il aura, comme tout le monde, déjà croisé dans son proche entourage des post-octo ou nonagénaires. Le faitnouveau réside dans l’augmentation de la fréquence de familles à quatre générations qu’il va rencontrer. En franchissant le seuil de la « vie-après la vie active », chacun va faire l’expérience inédite du partage avec son « plus vieux que soi », soit sa mère, son père, et/ou des proches. Faute de ressources et de références socio-culturelles (il n’y a pas beaucoup de romans ni de films avec un scenario à 4 générations), il va devoir improviser « sur le tas ». Ce sera le partage, volens nolens, de place et de temps, en se serrant les coudes, pour porter attention et soins à plus pressé que soi. L’apparition de cet acteur de la quatrième génération, celle des arrière-grands-parents, très demandeurs d’attention, va transformer l’image toute traditionnelle du « retraité » de la société à trois génération, l’image d’un grand-père ou d’une grand-mère, réputés disponible pour garder leurs petits-enfants et pour offrir un temps de répit à leurs propres enfants, devenus lesparents de leurs petits-enfants. Sur le plan familial, il faut aussi signaler que le passage à quatre générations a des retombées d’ordre structurel portant sur la situation financière des familles, dont le report voire la disparition de l’héritage qui tombait auparavant vers la fin des années actives des fils et filles, ainsi que la contribution de ces derniers à divers frais de soins à leurs parents ou en cas de leur transfert dans un établissement médico-social.

Sur le plan social, enfin, le changement n’a encore été que peu investigué. Pourtant ce n’est qu’au moment où, ayant perdu ses anciens liens sociaux professionnels, l’individu cherche à établir de nouveaux liens, qu’il va prendre la véritable mesure de l’écart entre son nouveau vécu quotidien du non-actif et le cadre de vie existant, qui a été etcontinue bien souvent à être normé pour satisfaire les besoins de la partie jeune et active d’une population piégée par sa pendularité journalière, entre son domicile et son poste de travail. A ce moment, il va comprendre qu’il n’a plus d’autre choix que de s’accommoder de la spatiotemporalité dont l’existence s’impose à lui.

En termes d’habitat, l’évolution en cours laisse entrevoir la complexification des parcours de vie et en appelle à des solutions souples et évolutives. La nouvelle cohabitation, qui débute dans les espaces normés pour trois générations et encore inchangés, implique la mise en adéquation progressive des accès, aménagements et équipements avec l’accompagnement à domicile de personnes de la quatrième génération, avec leurs soignants et aidants, jour et nuit. Al’échelle urbaine,   l’ancienne cohabitation à trois générations se répartissait sur deux logements, la cohabitation à quatre va fort probablement s’étendre sur trois logements, avec des effets de dispersion territoriale, d’extension des parcours de soins et de solidarité familiale, de diversification des scenarii d’entraide. Il va également falloir étudier comment le report ou l’absence d’un héritage va influer sur la qualité de l’habitat des familles.

En résumé, il s’agit de repenser les lieux favorisant l’établissement de liens et d’activités créatives, socio-culturelles et solidaires. Il s’agit aussi de faciliter les soins à donner à un proche de la 4ème génération ou, in fine, de recevoir soi-même des soins ambulatoires ou à domicile. A défaut, il y aura une augmentation conséquente de risques d’isolement social, de chutes et autres accidents, de besoins d’assistance, d’hébergement en institutions ou d’hospitalisation, finalement de surcoûts énormes. S’il faut saluer les efforts consentis en milieux institutionnels et hospitaliers, il faut aussi rappeler le prix à payer. Il est moins cher de prévenir que de guérir.

 

https://www.espazium.ch/fr/actualites/demain-lhabitat-entre-la-societe-trois-et-quatre-generations